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1492 : point de vue mexicain (2)
Lidia PEREZ LOPEZ
1492 : points de vue mexicains
II. Les Indiens
Dépositaire du savoir indigène, militante de la tradition conchera nahuatl, sociologue et journaliste, Maira Malintzin Anzures est Présidente du Conseil National de la Culture Nahuatl. Elle a fait connaître la philosophie maya et mexicaine durant seize années à Mexico, aux Etats-Unis et en Europe. Elle est l'auteur, entre autres, de : Maman, donne-moi un nom indigène, Langue et culture nahuatl, Coyolxauhqui, Notre mère cosmique.
Lidia Perez Lopez : Quel est la vision indienne du cinquième centenaire ?
Maria Malintzin Anzures : Pour nous, il représente surtout une souffrance spirituelle et idéologique. Il est de première importance pour nous d'arriver à cette date le front haut, après avoir soutenu cinq cents ans de résistance culturelle. Nous regrettons que cet événement soit fêté. Les organisations indiennes de tout le continent sont d'accord sur le fait que c'est un jour de deuil. Il s'est agit d'une invasion culturelle qui pèse encore sur nos ethnies et notre culture. le génocide, le massacre de nos ancêtres, la négation de ce qu'étaient nos langues et notre savoir, et l'interdiction de les communiquer à nos descendants. Durant ces cinq cents ans, le peuple indigène a souffert tous les outrages possibles, il a été dépouillé de ses terres, de ses langues et de sa culture. Une nation s'est créée dans laquelle le métissage n'existe que sous forme biologique, alors que le véritable métissage est fusion, mélange. Nous n'avons hérité ni des Espagnols ni des indigènes non plus, parce qu'un hybride a surgi, sans personnalité définie. Si nous croyions au métissage, nous aurions une éducation qui parlerait de l'Espagne et des Indiens, ainsi que des valeurs des deux cultures, et ce n'est pas le cas. Le métis a deux types de coutumes, d'habitudes, mais n'a pas de culture propre.
L.P.L. : La célébration du cinquième centenaire représente-t-elle une possibilité de réaliser ce métissage de façon plus consciente ? Quelle est la vision du peuple indien de ce qu'on peut espérer à l'avenir ?
M.M.A. : D'abord un apport spirituel. La période de la Vingtaine Sacrée se termine, autrement dit les vingt générations dont ont parlé nos ancêtres pour la rénovation de la culture indigène sont accomplies. Cela signifie que durant cinq cents ans, il nous a été impossible d'exercer de manière autonome, nous avons dû le faire de façon souterraine. Notre culture s'est transmise de père en fils par tradition orale, mais loin de l'activité de l'éducation nationale, loin également de l'idéologie du métissage. Aujourd'hui, le panorama change. En accord avec nos communautés indiennes, nous avons la permission d'exposer notre idéologie au monde, de la donner à connaître parce que c'est une réponse que nous avons gardée à travers des milliers d'années et qui possède un contenu universel.
L.P.L. : Quelles conséquences aura cette manifestation culturelle pour les métis du continent ?
M.M.A. : Elle ne sera pas reçue par les seuls métis, mais par le monde entier. Depuis quelques années, je suis sensible au fait que tout le monde pressent qu'il y a une réponse spirituelle universelle au Mexique. Des dignitaires spirituels viennent ici parce que ce lieu est résolument destiné à exposer sa géomancie au monde entier. Le Mexique arrive à une étape extraordinaire dont sortira un nouveau type de civilisation dans lequel nous serons les guides spirituels.
L.P.L. : Que pense les autres communautés indiennes du Sud et du Nord de ce rôle de protagoniste culturel qu'aura le Mexique ?
M.M.A. : Tous les frères indigènes du Nord et du Sud le reconnaissent amplement. Ils sont conscients depuis des siècles que le Mexique est le centre continental et énergétique de la moitié du monde. On peut dire que les lieux sacrés comme Teotihuacan ont été édifiés pour les gens du Nord, du Sud et du Centre du continent. On ne cherche pas à exalter une communauté, mais à exalter la Terre-Mère en ses points vitaux, à travers la conjonction de la valeur même indigène, continentale, en un site déterminé. Teotihuacan est continental et c'est le centre sacré de l'université du savoir futur.
L.P.L. : Maintenant qu'approchent les manifestations publiques et politiques du cinquième centenaire, que fera le peuple indigène, organisera-t-il des manifestations de protestation ?
M.M.A. : Il y a plus de seize ans déjà, nous avons fait une déclaration où nous indiquions que ce cinq centième anniversaire devait d'abord être l'anniversaire du mouvement et de la résistance de la culture indigène. Quant au douze octobre, il y a seize ans déjà que nous l'appelons le Jour de la Dignité de l'Indien. D'autre part, nous avons manifesté publiquement contre le fait d'offrir des couronnes à quelqu'un qui, dès son arrivée sur ces terres, a ordonné la tuerie des indigènes. Colomb ne fut pas un saint. Colomb et Cortès ont été soumis à un jugement d'assignation à résidence parce qu'ils avaient abusé du pouvoir qur leur avait donné la reine d'Espagne. Tous les deux s'étaient mués en assassins. L'Espagne leur a demandé des comptes, j'ignore pourquoi le monde, aujourd'hui, ne le fait pas.
L.P.L. : Tout le peuple indigène a conscience de ces cinq cents ans comme d'un asservissement ?
M.M.A. : Absolument. Il n'y a pas un seul peuple indigène qui ne le considère comme tel.
L.P.L. : Personne n'a envisagé la possibilité d'un métissage conscient ?
M.M.A. : Il y a bien métissage, mais biologique uniquement. C'est un fait que nul ne peut nier. Je ris quand certains métis nous disent : "Mais vous n'êtes pas de purs indigènes". Je leur réponds : "Le mélange biologique ne nous intéresse pas, c'est une question qui préoccupe les métis". Nous ne croyons pas à la pureté des races. Ni maintenant, ni avant, les Indiens n'ont cru dans les races pures et cela depuis des milliers d'années. Nous croyons en la pureté culturelle, c'est elle que nous défendons, c'est d'elle que nous sommes héritiers. Ce patrimoine est celui dont nous avons pris soin si jalousement jusqu'à aujourd'hui. Le rendre publique est un don que nous faisons à toutes les nations, et si les nations non indiennes veulent en bénéficier, nous le leur offrons. Nous faisons irruption dans le monde universel par le don de notre propre patrimoine culturel.
L.P.L. : Je me référais à la possibilité d'une intégration de la culture indienne à la culture espagnole en ce qu'elles ont de meilleur. Est-ce possible ?
M.M.A. : C'est un problème qui dépasse l'Espagne et le Mexique. En ce qui concerne la fusion culturelle, je pense que nous sommes parvenus à une époque planétaire. Le message indien tente de fusionner avec le monde entier. C'est un travail spirituel planétaire dont nous avons hérité en raison de notre "être" indien.
L.P.L. : Le cinquième centenaire ne peut-il être utilisé pour une nouvelle domination politique ou économique ?
M.M.A. : Il y aura toujours des gens qui l'utiliseront de cette façon. La race indienne n'a pas ces principes. "Utiliser" quelque chose ne nous intéresse pas. Dans tout ce que nous faisons, nous cherchons la fusion, nous sommes des gens qui "faisons don" d'un culte à la nature parce que nous fusionnons avec elle et la respectons. Nous avons un pacte avec le cosmos parce que nous fusionnons avec lui. Nous ne connaissons pas le mot utiliser.
L.P.L. : D'après le grand nombre de personnes vivant au Mexique et qui sont effectivement des métis biologiques, il y aura une nouvelle rencontre après le lever de ce Sixième Soleil, après cette Vingtaine Sacrée, comme le dit le peuple indien ?
M.M.A. : C'est exact. Nous avons organisé, depuis maintenant treize ou quatorze ans, des centres culturels pour que le peuple mexicain commence à connaître son patrimoine indigène, le monde également, puisque en affaires culturelles mexicains et non-mexicains sont intéressés. Au Conseil National de la Culture Maya que je préside, j'ai des élèves étrangers qui étudient la langue et la philosophie nahuatl et si vous leur demandez pourquoi ils le font, ils disent : "Parce que j'y trouve une réponse spirituelle, culturelle, que je ne trouve pas dans ma propre civilisation". Car la civilisation est une chose, la culture en est une autre. La civilisation est un processus technique et un processus d'instruction, mais le processus spirituel vient des racines, celles que les peuples ont héritées de façon ancestrale. Les Etats-Unis sont un peuple civilisé, pas un peuple cultivé.
L.P.L. : En parlant de la problématique si importante au Mexique, de manque d'identité nationale, vous avez dit qu'on ne pouvait pas parler "des Mexicains" parce qu'on y trouve différentes cultures et façons de voir le monde. Quelle possibilité existe-t-il d'incorporer les éléments étrangers à la culture indienne ?
M.M.A. : Cette possibilité se présente à travers les centres culturels indiens et surtout à travers les organisations indiennes comme celle que je préside où nous essayons de faire que les gens commencent à utiliser leurs propres valeurs.
L.P.L. : Y compris leurs valeurs espagnoles ?
M.M.A. : Oui. Les valeurs de la culture indigène ne se réfèrent pas à une vision anthropocentrique. L'idéal occidental est très différent de l'idéal indien. L'idéal indien se situe hors de l'anthropocentrisme et de l'individualisme. Il se centre sur l'homme cosmique parce que l'indigène est un être cosmique. Ces messages doivent parvenir à ceux qui portent en eux cette quête de l'être cosmique. La relation de ces personnes avec nous est une fusion et une union naturelle. Ils cherchent et vont trouver, puisque notre culture possède ce qu'il leur faut. Je pense que c'est une culture de type universel, planétaire, plus même.
L.P.L. : Cela, je le comprends. Je veux parler de la problématique très difficile d'identification du peuple mexicain. C'est une problématique très difficile.
M.M.A. : C'est ce que je veux dire. L'absence d'identité d'un peuple vient de ne pas avoir ses propres valeurs, de ne pas avoir de "formation," mais seulement des "informations". Dans un monde d'informations, on reçoit beaucoup de données, mais sans contenu ni orientation. On possède une culture uniquement si elle vous donne des règles de vie biologique, morale, sociale et spirituelle. Le Mexicain ne trouve pas cela dans ce qu'il appelle le métissage, parce que celui-ci n'a pas de réponse définitive au manque de culture propre, n'ayant pas d'identité. Il est certain qu'être "mexicain"est conflictuel. Les gens se battent entre eux parce qu'ils manquent de repères. Ce problème d'identité peut être résolu si le Mexicain revient à sa culture, à ses racines, autrement dit, à la culture indigène. Alors, il se sentira bien avec lui-même.
L.P.L. : Il y a des manifestations de rejet notoire et agressif envers les représentants de la conquête. Pensez-vous qu'on s'en prendra aux statues de Colomb et de Cortès ?
M.M.A. : Il est évident qu'il existe un malaise. Vous ne pouvez pas espérer qu'après cinq cents ans de domination les gens vous applaudissent. Les gens ont du caractère, du courage, de la dignité, et si leur dignité est piétinée à un moment ou à un autre, ils cherchent à en détruire les symboles. Pourquoi les statues de Lénine ont-elles été détruites ? Parce qu'elles sont devenues inopérantes. Il ne sert à rien d'élever des statues à Colomb et à Cortès. De plus c'est un manque de connaissance historique. Si nous parlons du métissage, c'est Gonzalo de Guerrero qui fut le premier Espagnol à se marier avec une Indienne. Le père du métissage ne fut pas Colomb, qui, de plus, a trahi sa religion en prenant une Indienne comme femme, alors qu'il était déjà marié. Ce fut un bigame, dont l'histoire n'est en rien exemplaire. Il est certain que c'était un soldat et qu'on ne peut espérer beaucoup de la mentalité d'un soldat. L'outrage fut donc très grand et il n'y a pas de quoi célébrer l'envahisseur. Dans quel pays trouve-t-on des statues à la gloire des envahisseurs ? On élève des statues aux héros.
L.P.L. : Et quelle est votre opinion sur les gouvernants du Mexique qui participent à cette manifestation ?
M.M.A. : Nous espérons un dialogue avec les autorités qui nous administrent. Des nationalités indigènes de cinquante-six ethnies et de quinze millions de personnes qui ont une langue et une culture indigènes méritent de la considération et l'autonomie culturelle.
L.P.L. : Néanmoins, les gouvernants entrent en contact avec les représentants des envahisseurs et veulent les glorifier. Ils parlent de la participation de délégations mexicaines, conjointement avec les rois, les présidents et les ministres des relations extérieures d'Espagne.
M.M.A. : Je peux dire que va s'instituer le Conseil National de la Culture Nahuatl et qu'il va voyager en Europe. Nous pensons visiter l'Espagne, l'Allemagne, la France et, si possible, la Belgique et l'Autriche, en un parcours d'un mois et demi où nous irons en tant qu'organisation indigène pour montrer notre culture, lors d'événements spéciaux. La présenter et la partager avec le monde, sans mystifications, sans mythes ni distorsions nous intéresse. Nous réaliserons cela sans intermédiaires, ni parrains. Nous, les Indiens, sommes indépendants, ce qu'il nous faut, ce sont des plateformes où nous exprimer. Si le gouvernement rend hommage, il exprimera là le point de vue métis. Le point de vue indigène, quant à lui, rejette tout type d'hommages, ici ou à l'extérieur.
L.P.L. : Y a-t-il un lieu où des organismes spécifiques vous appuient dans la divulgation que vous avez mentionnée, en France, par exemple ?
M.M.A. : Je crois que les organisations culturelles de ces pays sont très intéressées à connaître, des interprètes même de cette histoire, leur position face au monde. Les mouvements écologiques sont inspirés par notre mode de vie; Ils nous appellent "les gardiens de la nature", parce que nous l'avons toujours été et le serons toujours. Ils ont, en ce qui concerne notre culture, sinon une grande information à travers ce qu'ils ont pu recevoir ces dernières années, du moins une grande admiration pour la culture indienne. Ils veulent connaître nos danses, nos livres, nos prophéties, nos films et nos vidéos. Nous allons fraterniser avec le monde, ce que nous n'avons pas fait jusqu'ici parce qu'on ne nous en a pas donné la possibilité, en nous dépréciant en permanence avec des images folkloriques, délavées, altérées, de notre personnalité. Nous ne voulons pas que persiste cette image de l'Indien, mais qu'il soit vu dans sa vérité actuelle et qu'on partage avec lui ce qu'il est réellement et pas seulement ses coutumes en matière d'habillement ou d'artisanat. D'ailleurs, nous n'avons pas d'artisanat. Nous, les Indiens, possédons un art indien, qui est rituel et sacré.
Nous ne sommes pas des êtres qui nourrissons de l'hostilité ou des attitudes revendicatrices et vindicatives, nous sommes des êtres qui alimentons le futur, et, pour cela, nous puisons dans notre passé.
Propos recueillis par Lidia PEREZ LOPEZ
(Traduit de l'espagnol)
Lidia PEREZ LOPEZ
1492 : points de vue mexicains
II. Les Indiens
Dépositaire du savoir indigène, militante de la tradition conchera nahuatl, sociologue et journaliste, Maira Malintzin Anzures est Présidente du Conseil National de la Culture Nahuatl. Elle a fait connaître la philosophie maya et mexicaine durant seize années à Mexico, aux Etats-Unis et en Europe. Elle est l'auteur, entre autres, de : Maman, donne-moi un nom indigène, Langue et culture nahuatl, Coyolxauhqui, Notre mère cosmique.
Lidia Perez Lopez : Quel est la vision indienne du cinquième centenaire ?
Maria Malintzin Anzures : Pour nous, il représente surtout une souffrance spirituelle et idéologique. Il est de première importance pour nous d'arriver à cette date le front haut, après avoir soutenu cinq cents ans de résistance culturelle. Nous regrettons que cet événement soit fêté. Les organisations indiennes de tout le continent sont d'accord sur le fait que c'est un jour de deuil. Il s'est agit d'une invasion culturelle qui pèse encore sur nos ethnies et notre culture. le génocide, le massacre de nos ancêtres, la négation de ce qu'étaient nos langues et notre savoir, et l'interdiction de les communiquer à nos descendants. Durant ces cinq cents ans, le peuple indigène a souffert tous les outrages possibles, il a été dépouillé de ses terres, de ses langues et de sa culture. Une nation s'est créée dans laquelle le métissage n'existe que sous forme biologique, alors que le véritable métissage est fusion, mélange. Nous n'avons hérité ni des Espagnols ni des indigènes non plus, parce qu'un hybride a surgi, sans personnalité définie. Si nous croyions au métissage, nous aurions une éducation qui parlerait de l'Espagne et des Indiens, ainsi que des valeurs des deux cultures, et ce n'est pas le cas. Le métis a deux types de coutumes, d'habitudes, mais n'a pas de culture propre.
L.P.L. : La célébration du cinquième centenaire représente-t-elle une possibilité de réaliser ce métissage de façon plus consciente ? Quelle est la vision du peuple indien de ce qu'on peut espérer à l'avenir ?
M.M.A. : D'abord un apport spirituel. La période de la Vingtaine Sacrée se termine, autrement dit les vingt générations dont ont parlé nos ancêtres pour la rénovation de la culture indigène sont accomplies. Cela signifie que durant cinq cents ans, il nous a été impossible d'exercer de manière autonome, nous avons dû le faire de façon souterraine. Notre culture s'est transmise de père en fils par tradition orale, mais loin de l'activité de l'éducation nationale, loin également de l'idéologie du métissage. Aujourd'hui, le panorama change. En accord avec nos communautés indiennes, nous avons la permission d'exposer notre idéologie au monde, de la donner à connaître parce que c'est une réponse que nous avons gardée à travers des milliers d'années et qui possède un contenu universel.
L.P.L. : Quelles conséquences aura cette manifestation culturelle pour les métis du continent ?
M.M.A. : Elle ne sera pas reçue par les seuls métis, mais par le monde entier. Depuis quelques années, je suis sensible au fait que tout le monde pressent qu'il y a une réponse spirituelle universelle au Mexique. Des dignitaires spirituels viennent ici parce que ce lieu est résolument destiné à exposer sa géomancie au monde entier. Le Mexique arrive à une étape extraordinaire dont sortira un nouveau type de civilisation dans lequel nous serons les guides spirituels.
L.P.L. : Que pense les autres communautés indiennes du Sud et du Nord de ce rôle de protagoniste culturel qu'aura le Mexique ?
M.M.A. : Tous les frères indigènes du Nord et du Sud le reconnaissent amplement. Ils sont conscients depuis des siècles que le Mexique est le centre continental et énergétique de la moitié du monde. On peut dire que les lieux sacrés comme Teotihuacan ont été édifiés pour les gens du Nord, du Sud et du Centre du continent. On ne cherche pas à exalter une communauté, mais à exalter la Terre-Mère en ses points vitaux, à travers la conjonction de la valeur même indigène, continentale, en un site déterminé. Teotihuacan est continental et c'est le centre sacré de l'université du savoir futur.
L.P.L. : Maintenant qu'approchent les manifestations publiques et politiques du cinquième centenaire, que fera le peuple indigène, organisera-t-il des manifestations de protestation ?
M.M.A. : Il y a plus de seize ans déjà, nous avons fait une déclaration où nous indiquions que ce cinq centième anniversaire devait d'abord être l'anniversaire du mouvement et de la résistance de la culture indigène. Quant au douze octobre, il y a seize ans déjà que nous l'appelons le Jour de la Dignité de l'Indien. D'autre part, nous avons manifesté publiquement contre le fait d'offrir des couronnes à quelqu'un qui, dès son arrivée sur ces terres, a ordonné la tuerie des indigènes. Colomb ne fut pas un saint. Colomb et Cortès ont été soumis à un jugement d'assignation à résidence parce qu'ils avaient abusé du pouvoir qur leur avait donné la reine d'Espagne. Tous les deux s'étaient mués en assassins. L'Espagne leur a demandé des comptes, j'ignore pourquoi le monde, aujourd'hui, ne le fait pas.
L.P.L. : Tout le peuple indigène a conscience de ces cinq cents ans comme d'un asservissement ?
M.M.A. : Absolument. Il n'y a pas un seul peuple indigène qui ne le considère comme tel.
L.P.L. : Personne n'a envisagé la possibilité d'un métissage conscient ?
M.M.A. : Il y a bien métissage, mais biologique uniquement. C'est un fait que nul ne peut nier. Je ris quand certains métis nous disent : "Mais vous n'êtes pas de purs indigènes". Je leur réponds : "Le mélange biologique ne nous intéresse pas, c'est une question qui préoccupe les métis". Nous ne croyons pas à la pureté des races. Ni maintenant, ni avant, les Indiens n'ont cru dans les races pures et cela depuis des milliers d'années. Nous croyons en la pureté culturelle, c'est elle que nous défendons, c'est d'elle que nous sommes héritiers. Ce patrimoine est celui dont nous avons pris soin si jalousement jusqu'à aujourd'hui. Le rendre publique est un don que nous faisons à toutes les nations, et si les nations non indiennes veulent en bénéficier, nous le leur offrons. Nous faisons irruption dans le monde universel par le don de notre propre patrimoine culturel.
L.P.L. : Je me référais à la possibilité d'une intégration de la culture indienne à la culture espagnole en ce qu'elles ont de meilleur. Est-ce possible ?
M.M.A. : C'est un problème qui dépasse l'Espagne et le Mexique. En ce qui concerne la fusion culturelle, je pense que nous sommes parvenus à une époque planétaire. Le message indien tente de fusionner avec le monde entier. C'est un travail spirituel planétaire dont nous avons hérité en raison de notre "être" indien.
L.P.L. : Le cinquième centenaire ne peut-il être utilisé pour une nouvelle domination politique ou économique ?
M.M.A. : Il y aura toujours des gens qui l'utiliseront de cette façon. La race indienne n'a pas ces principes. "Utiliser" quelque chose ne nous intéresse pas. Dans tout ce que nous faisons, nous cherchons la fusion, nous sommes des gens qui "faisons don" d'un culte à la nature parce que nous fusionnons avec elle et la respectons. Nous avons un pacte avec le cosmos parce que nous fusionnons avec lui. Nous ne connaissons pas le mot utiliser.
L.P.L. : D'après le grand nombre de personnes vivant au Mexique et qui sont effectivement des métis biologiques, il y aura une nouvelle rencontre après le lever de ce Sixième Soleil, après cette Vingtaine Sacrée, comme le dit le peuple indien ?
M.M.A. : C'est exact. Nous avons organisé, depuis maintenant treize ou quatorze ans, des centres culturels pour que le peuple mexicain commence à connaître son patrimoine indigène, le monde également, puisque en affaires culturelles mexicains et non-mexicains sont intéressés. Au Conseil National de la Culture Maya que je préside, j'ai des élèves étrangers qui étudient la langue et la philosophie nahuatl et si vous leur demandez pourquoi ils le font, ils disent : "Parce que j'y trouve une réponse spirituelle, culturelle, que je ne trouve pas dans ma propre civilisation". Car la civilisation est une chose, la culture en est une autre. La civilisation est un processus technique et un processus d'instruction, mais le processus spirituel vient des racines, celles que les peuples ont héritées de façon ancestrale. Les Etats-Unis sont un peuple civilisé, pas un peuple cultivé.
L.P.L. : En parlant de la problématique si importante au Mexique, de manque d'identité nationale, vous avez dit qu'on ne pouvait pas parler "des Mexicains" parce qu'on y trouve différentes cultures et façons de voir le monde. Quelle possibilité existe-t-il d'incorporer les éléments étrangers à la culture indienne ?
M.M.A. : Cette possibilité se présente à travers les centres culturels indiens et surtout à travers les organisations indiennes comme celle que je préside où nous essayons de faire que les gens commencent à utiliser leurs propres valeurs.
L.P.L. : Y compris leurs valeurs espagnoles ?
M.M.A. : Oui. Les valeurs de la culture indigène ne se réfèrent pas à une vision anthropocentrique. L'idéal occidental est très différent de l'idéal indien. L'idéal indien se situe hors de l'anthropocentrisme et de l'individualisme. Il se centre sur l'homme cosmique parce que l'indigène est un être cosmique. Ces messages doivent parvenir à ceux qui portent en eux cette quête de l'être cosmique. La relation de ces personnes avec nous est une fusion et une union naturelle. Ils cherchent et vont trouver, puisque notre culture possède ce qu'il leur faut. Je pense que c'est une culture de type universel, planétaire, plus même.
L.P.L. : Cela, je le comprends. Je veux parler de la problématique très difficile d'identification du peuple mexicain. C'est une problématique très difficile.
M.M.A. : C'est ce que je veux dire. L'absence d'identité d'un peuple vient de ne pas avoir ses propres valeurs, de ne pas avoir de "formation," mais seulement des "informations". Dans un monde d'informations, on reçoit beaucoup de données, mais sans contenu ni orientation. On possède une culture uniquement si elle vous donne des règles de vie biologique, morale, sociale et spirituelle. Le Mexicain ne trouve pas cela dans ce qu'il appelle le métissage, parce que celui-ci n'a pas de réponse définitive au manque de culture propre, n'ayant pas d'identité. Il est certain qu'être "mexicain"est conflictuel. Les gens se battent entre eux parce qu'ils manquent de repères. Ce problème d'identité peut être résolu si le Mexicain revient à sa culture, à ses racines, autrement dit, à la culture indigène. Alors, il se sentira bien avec lui-même.
L.P.L. : Il y a des manifestations de rejet notoire et agressif envers les représentants de la conquête. Pensez-vous qu'on s'en prendra aux statues de Colomb et de Cortès ?
M.M.A. : Il est évident qu'il existe un malaise. Vous ne pouvez pas espérer qu'après cinq cents ans de domination les gens vous applaudissent. Les gens ont du caractère, du courage, de la dignité, et si leur dignité est piétinée à un moment ou à un autre, ils cherchent à en détruire les symboles. Pourquoi les statues de Lénine ont-elles été détruites ? Parce qu'elles sont devenues inopérantes. Il ne sert à rien d'élever des statues à Colomb et à Cortès. De plus c'est un manque de connaissance historique. Si nous parlons du métissage, c'est Gonzalo de Guerrero qui fut le premier Espagnol à se marier avec une Indienne. Le père du métissage ne fut pas Colomb, qui, de plus, a trahi sa religion en prenant une Indienne comme femme, alors qu'il était déjà marié. Ce fut un bigame, dont l'histoire n'est en rien exemplaire. Il est certain que c'était un soldat et qu'on ne peut espérer beaucoup de la mentalité d'un soldat. L'outrage fut donc très grand et il n'y a pas de quoi célébrer l'envahisseur. Dans quel pays trouve-t-on des statues à la gloire des envahisseurs ? On élève des statues aux héros.
L.P.L. : Et quelle est votre opinion sur les gouvernants du Mexique qui participent à cette manifestation ?
M.M.A. : Nous espérons un dialogue avec les autorités qui nous administrent. Des nationalités indigènes de cinquante-six ethnies et de quinze millions de personnes qui ont une langue et une culture indigènes méritent de la considération et l'autonomie culturelle.
L.P.L. : Néanmoins, les gouvernants entrent en contact avec les représentants des envahisseurs et veulent les glorifier. Ils parlent de la participation de délégations mexicaines, conjointement avec les rois, les présidents et les ministres des relations extérieures d'Espagne.
M.M.A. : Je peux dire que va s'instituer le Conseil National de la Culture Nahuatl et qu'il va voyager en Europe. Nous pensons visiter l'Espagne, l'Allemagne, la France et, si possible, la Belgique et l'Autriche, en un parcours d'un mois et demi où nous irons en tant qu'organisation indigène pour montrer notre culture, lors d'événements spéciaux. La présenter et la partager avec le monde, sans mystifications, sans mythes ni distorsions nous intéresse. Nous réaliserons cela sans intermédiaires, ni parrains. Nous, les Indiens, sommes indépendants, ce qu'il nous faut, ce sont des plateformes où nous exprimer. Si le gouvernement rend hommage, il exprimera là le point de vue métis. Le point de vue indigène, quant à lui, rejette tout type d'hommages, ici ou à l'extérieur.
L.P.L. : Y a-t-il un lieu où des organismes spécifiques vous appuient dans la divulgation que vous avez mentionnée, en France, par exemple ?
M.M.A. : Je crois que les organisations culturelles de ces pays sont très intéressées à connaître, des interprètes même de cette histoire, leur position face au monde. Les mouvements écologiques sont inspirés par notre mode de vie; Ils nous appellent "les gardiens de la nature", parce que nous l'avons toujours été et le serons toujours. Ils ont, en ce qui concerne notre culture, sinon une grande information à travers ce qu'ils ont pu recevoir ces dernières années, du moins une grande admiration pour la culture indienne. Ils veulent connaître nos danses, nos livres, nos prophéties, nos films et nos vidéos. Nous allons fraterniser avec le monde, ce que nous n'avons pas fait jusqu'ici parce qu'on ne nous en a pas donné la possibilité, en nous dépréciant en permanence avec des images folkloriques, délavées, altérées, de notre personnalité. Nous ne voulons pas que persiste cette image de l'Indien, mais qu'il soit vu dans sa vérité actuelle et qu'on partage avec lui ce qu'il est réellement et pas seulement ses coutumes en matière d'habillement ou d'artisanat. D'ailleurs, nous n'avons pas d'artisanat. Nous, les Indiens, possédons un art indien, qui est rituel et sacré.
Nous ne sommes pas des êtres qui nourrissons de l'hostilité ou des attitudes revendicatrices et vindicatives, nous sommes des êtres qui alimentons le futur, et, pour cela, nous puisons dans notre passé.
Propos recueillis par Lidia PEREZ LOPEZ
(Traduit de l'espagnol)
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